Sensations de Chine

  1. Nuits de Chine
  2. La lecon de Chinois
  3. Un soir a Pekin
  4. L'accident
  5. Le peuple veille sur le peuple
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1- Nuits de Chine


Rue de HohotNuits de Chine... pas très câlines en général ! J'habite au rez-de-chaussée, dans une toute petite rue pourrie et traditionnelle. Ici, on appelle ça une "hutong". Au début mes voisins ont voulu me dénoncer au comité de quartier, parce que je suis un "long-nez" qui n'a pas le droit d'habiter là. Alors je me suis mis a les appeler "Camarades !", et j'ai beaucoup réfléchi.

Maintenant, je ne me plains plus des actes surprenants de mes camarades chinois: je les vois autrement ! Par exemple, le matin vers 6 heures il y a plein de camarades qui vendent des trucs ou qui en récoltent en poussant des cris bizarres et très forts pour qu'on les entende même du fond des maisons, et même quand on dort profondément... Le camarade qui ramasse des cartons crie "Cartons, cartons.." sous la fenêtre du camarade qui dort (en l’occurrence moi) jusqu’à ce qu'il lui en donne un. Combien de fois le camarade dormeur (on lui pardonne de dormir un peu, car il a bien travaille pour le bien du peuple, primo, et secundo s'il se repose c'est uniquement pour servir encore mieux le peuple le lendemain) a-t-il du se mettre à chercher, à plat-ventre sous son lit, un petit morceau de carton pour que le fier camarade crieur poursuive enfin sa route !

Les éléments naturels également jouent avec le sommeil des camarades : dans ma hutong, juste sous ma fenêtre il y a un gros trou dans la chaussée. Du coup, tous les cycles a trois roues, surchargés de bouteilles de bière (pour réconforter les camarades qui travaillent pour le peuple, je vous le rappelle car je pense que votre éducation communiste est encore à faire), se prennent dans ledit trou au moment où ils passent, provoquant alors un bruit semblable a celui que ferait un pack de 48 bouteilles de Kro en tombant du 10ème étage. Câlines ou pas câlines, en tous cas, les nuits de Chine ne sont pas longues...

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2- La leçon de chinois


MadeleineMa prof particulière de chinois s'appelle Amélie. Elle est étudiante en français à l’université de Pékin. Amélie est très gentille avec moi, elle me prépare même des devoirs à faire à la maison. J'avais dit à Amélie : je voudrais m’entraîner à traduire des dialogues, très simples et très courants. Elle m'a dit : oui, oui, c'est d'accord.

Arrivé à la maison, je dépliai fiévreusement la feuille d’exercices:

-Pierre: "Bonjour, Zhang !"

-Zhang: "Bonjour, Pierre."

Bon. Jusque là pas de problème. J'aime ce genre d'exercice qui sait donner la douce illusion de parler couramment chinois. Continuons.

-Pierre: "On se fait en France une idée assez schématique de l'art chinois : d'un côté, les traditions séculaires, de l'autre, le réalisme socialiste. Qu'en est-il exactement ?"

Je repliai soigneusement la feuille, et décidai courageusement de me pencher sur le dernier exemplaire de "Elle".

Amélie n’était pas très contente que je ne sache pas dire "réalisme socialiste". Elle eut vite fait de quitter ses traits innocents et naïfs (assez communément adoptés par les jeunes chinoises) pour me montrer sa réprobation. "Certaines choses sont importantes ici, tu ne peux pas aimer la Chine sans les respecter". Alors je suis devenu réaliste, et puis socialiste un peu aussi. Quoi, il faut s’adapter ! D’ailleurs, le vieux sage a dit : "Arrivé à une montagne, on en chante la chanson..."

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3- Un soir à Pékin


Au karaoke...Je voulus faire signe à la serveuse de m'apporter une autre bière, mais aussitôt elle arrêta mon bras : « Nous n'avons plus le temps, LuoPan, il faut y aller maintenant. » Il est vrai qu'il était déjà presque 21 heures. Je décollai, un à un, mes avant-bras moites de la "nappe" en plastique d'emballage, réglai la maigre addition, et sortai dans la ruelle défoncée.

La nuit était déjà bien avancée, au moins 21 heures 15, lorsque le taxi stoppa sous les néons multicolores. Devant l’entrée, elle sortit quelques billets de sa poche. Pour ma part, je savais que mon passeport suffirai. Alors, en quelques pas, nous passâmes de l’autre côté du miroir...

Car en franchissant cette porte c’est toute la Chine que nous quittions, et ses vieillards usés, et ses drapeaux rouges, et ses écoliers en uniforme. Plus de bus se mouvant maladroitement parmi les flots de vélos, plus d’odeur matinale de petits pains farcis à la viande... Les corps luisants se déchaînaient, immergés dans la fumée et les lumières. Les chinoises ? sans doute nées près d’un Tchernobyl gardé secret, ou trafiquées génétiquement, car trop grandes pour être vraies. Cette boite est l’une des plus en vue actuellement à Pékin.

Mais les bulles illusoires se crèvent bien vite, les rêves sont éphémères… trois heures plus tard, sous le halo blanc des lumières rallumées, des militaires en uniforme envahissaient la piste des décadences. Nous fumes pratiquement jetés dehors. Et la rue n’avait pas changé, elle était telle que nous l’avions laissée en pénétrant le lieu magique. Si chinoise, tout simplement… Je me renseignai : « Camarade, est-ce la révolution ? pourquoi avons nous été jetés dehors ?» Elle me regarda d’un air étonné : « Mais enfin, LuoPan, c’est la fermeture ! Il est minuit passé ! ».

On n’échappe pas ainsi a la réalité, au mieux on ne la quitte qu’un instant. D’ailleurs, quelques mois plus tard j’apprendrai que cette discothèque appartient et est gérée par l’Armée de Libération du Peuple, ce qui est commun ici. Un peu de poudre aux yeux, une superficielle impression de modernité, bien vite balayées par le souffle triomphal du Comité Central !

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4- L’accident


Famille sur un velo a trois rouesLongtemps, j’ai pensé que les Chinois avaient inventé le vélo à trois roues pour y porter de gros objets. Jusqu’au jour où j’ai vu deux frigidaires se déplacer sur la piste cyclable : ils étaient en équilibre de part et d’autre d’un vélo normal... C’eût été trop facile avec trois roues ; ce serait préférer la fourchette aux baguettes !

Chaque matin, je suis bloqué dans les embouteillages de vélos. Le soir, je sors tard du boulot pour éviter les bouchons, et mets moitié moins de temps. Alors un jour, scotché au niveau du Parc du Ciel, j’ai compris : ils roulent si lentement, la troisième roue sert à ne pas tomber.

Vieux Chen aussi sort chaque matin, pour promener ses oiseaux. Il charge les cages sur la plate-forme arrière de son tricycle. Il va sur ses 80 ans, il est très fier de pédaler encore. Vieux Chen se déplace si lentement qu’on ne sait plus trop dans quel sens il va. Il semble figé. L’autre jour, il a failli avoir une contravention, car l’officier de police croyait qu’il était à contre-sens...

Vieux Chen sourit, et ne manque pas de se murmurer "imbéciles !" lorsqu’il voit de jeunes cons le doubler a toute allure. Moi aussi, l’autre jour j’ai doublé Vieux Chen un peu vite. J’étais en retard. Peu après, il y a eu un blocage, un peu comme sur le périph à Paris. Et c’est là que mes freins avant (c’est à dire les seuls qui marchent) se sont envolés. Je n’aurais pas dû alors tenter le freinage de secours du pied droit : j’ai perdu 5 centimètres de semelle, et çà ne m’a pas empêché d’aller m’encastrer dans le groupe de 50 Chinois arrêtés au feu, avant de traverser la grande avenue à 50km/h avec une chaussure en feu.

Maintenant, je sais pourquoi ils vont lentement. Et moi aussi, je vais lentement. D’ailleurs, demain je m’achète un vélo à trois roues, et puis, peut-être que je discuterai un peu avec Vieux Chen sur le chemin...

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5- Le peuple veille sur le peuple


Dans le train, avec l'Armee de Liberation du PeupleJ’étais tout entier au "Jeu de la mort", fameux film ou Bruce Lee (Petit Dragon Lee en chinois) met à mal un méchant blanc moustachu, lorsque des coups sourds et impatients s’abattirent contre la porte de la modeste demeure que j’habite illégalement. S’il est de notoriété publique qu’on ne peut pas passer une nuit dans un hôtel chinois sans recevoir les visites répétées et insistantes de jeunes et charmantes demoiselles, en revanche j’étais assez surpris que ces pratiques se fussent étendues jusque dans mon quartier reculé.

Et pourtant, il s’agissait bien de deux femmes. Je les fis entrer et elles se dirigèrent droit vers ma chambre à coucher, ou elles s’assirent côte à côte sur le lit. Je restai debout au milieu de la chambre (mon lit étant un modèle chinois, un mètre de large et sommier en bois massif, je n’avais plus de place pour m’asseoir). Elles étaient toutefois un peu vieilles, car la plus jeune avait bien soixante-dix ans. Elle portait une sorte de brassard rouge, et c’est elle qui prit la parole :

- Camarade ! Je suis gardienne de l’ordre et de la sécurité du quartier, bâtiment 8 Est ! Au nom de l’amitié entre les peuples, le Comité de Quartier te souhaite bienvenue ! Toutefois, il te faut sur le champ te rendre au Bureau d’Enregistrement des Travailleurs et te faire enregistrer ! C’est pour ta sécurité, camarade, et celle du Peuple !

Dans la foulée, elle s’était emparée de mon passeport, et recopiait fébrilement tout ce qu’elle y trouvait, du nom du préfet de l’Isère au numéro de mon visa égyptien de 1997... Enfin, elle me fit comprendre sans détours qu’elle savait que je recevais de nombreuses visites de Chinois, voire même, quelle horreur, de Chinoises, et me rappela avec insistance :

- Il faut faire enregistrer tes visites, camarade ! Pour le Peuple, ne l’oublie pas ! Il veille sur toi !

Ah, le Peuple veille sur le Peuple... J’eus soudain envie de lui demander pourquoi, il y a presque dix ans sur une grande place qui est à deux minutes en vélo de chez moi, le Peuple avait tiré sur le Peuple. Et puis, je me suis dit que c’était bientôt Noël et que je ne voulais pas le passer en prison. Alors, j’ai souri, puis en guise de bonsoir je lui ai lancé la formule traditionnelle : « Merci, Camarade, tu travailles pour le Peuple ! ».

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