L'idée de petit texte est de vous donner une idée de ce que sont les caractères chinois. D'où viennent-ils, comment ont-ils évolué, comment s'en sert-on aujourd'hui ? Ne vous inquiétez pas, ce n'est pas trop long, et plus qu'informel : j'ai résumé 8000 ans et 45035 caractères en quelques pages !
Vers -6000, les premiers pictogrammes
apparaissent. Il ressemblent à celui-ci :
Le soleil en haut, la montagne en bas, un nuage entre les deux. Le tout
semble signifier « aube ». Tout un poème en soit ! Mais
ce sont des signes isolés, qui ne forment pas un système
complet.
Les
premiers systèmes de caractères ordonnés sont les
Jia Gu Wen, littéralement « écriture sur carapaces
et os », apparus vers –1500. L’histoire des Jia Gu Wen est assez
plaisante.
Bon, imaginez que vous êtes responsable des pratiques divinatoires sous les Shang, en l’an –1354. L’empereur se demande si la maladie de sa première concubine est grave (c’est à dire s’il doit changer ou attendre un peu), il vous ordonne de consulter les auspices. Comment faire ? Je vais vous expliquer, c’est très simple.
Prenez
une tortue, ébouillantez la, videz la chair [vous pouvez en faire
une soupe pour vivre longtemps, NDLR]. Récupérez une des
deux parties de la carapace, polissez-la, faites-y des petits trous. Passez-la
au feu en prononçant des formules magiques. Au bout d’un moment,
la carapace va se craqueler autour des petits trous. Lisez les craquelures
[ne me posez pas de question ici, moi non plus je ne sais pas « lire
les craquelures »] et interprétez le destin : « Aucune
chance de guérison. Suivante ! ».
Mais
l’empereur se méfie des devins. Il veut garder une trace de vos
prédictions, pour éventuellement vous décapiter si
elles s’avèrent fantaisistes. Alors que fait-il ? Sur la carapace,
on grave autour de chaque petit trou craquelé son interprétation,
le nom du devin, la date de l’auscultation. L’écriture vient de
naître.
Et moi qui pensais que les Chinois avaient créé leur écriture une nuit au bord du lac où le poète LiBai allai un jour se noyer, ivre, en tentant d’aller toucher le reflet de la pleine lune ! Quelle désillusion ! Il faut se rendre à l’évidence, ce sont les fonctionnaires-archivistes qui ont eu l’idée, pas les poètes.
Mais revenons à nos caractères. Les systèmes utilisés sur les carapaces et les os sont déjà perfectionnés. Sur les 4000 caractères recensés, on n’en comprend que 1000 environ. Si vous aimez les rébus, allez au National Palace Museum de Taipeh et demandez les carapaces.
Certains sont encore très représentatifs :
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Mais d'autres sont déjà simplifiés. Le processus d’abstraction qui mène du signe figuratif à l'écriture moderne a très tôt commencé.
Ensuite, plusieurs types de caractères se succèdent. La Chine est très grande (17 fois la France), chaque contrée développe son système. Les choses deviennent intéressantes en –221, lorsque l’empereur Qin Shi Huang unifie la Chine. Car il entreprend de réformer l’écriture. Un lettré nommé Li Si recense alors les caractères utilisés dans les 6 royaumes unifiés, ainsi que leur prononciation. Rassemblés, triés, ordonnés, ces caractères forment alors le système officiel d’écriture de l’empire.
Il n’y aura plus d’évolution majeure dans le système, seule la forme des caractères évolue sans cesse : préconisation du pinceau en –200, angulation des traits, inscription du caractère dans un carré parfait, ... jusqu’à la simplification de 1950 (sur laquelle nous reviendrons) modifient la forme des caractères, mais pas le fondement du système. Voici quelques types de calligraphies differentes :
Du plus simple au plus abstrait
Combien y a-t-il de caractères ? Faisons-nous peur, le dictionnaire Kang Xi Zi, paru en 1716, comporte 45035 caractères... mais certains apparaissent sous plusieurs formes, beaucoup ne sont plus utilisés. Enfin il y en a quand même pas mal, un bon dictionnaire contemporain en liste 6000 ou 7000. Mon dictionnaire de poche en a plus de 4000.
En fin de compte, un caractère, c’est une lettre, un dessin ou une idée ? La réponse est : ça dépend du caractère en question. Nous allons donc nous promener parmi les caractères, du plus concret au plus abstrait. Sur notre route, nous en rencontrerons quelques uns qui nous raconteront leur histoire. La classification qui suit est empruntée au "ShuoWenJieZi", "Expliquer les signes, analyser les caractères", paru en l'an 100 (mais c'est une référence toujours utilisée) et recensant 9353 caractères.
1 - Le plus concret : le
pictogramme
"Il représente l'objet
par un dessin, reconnaître les formes de l'objet est compliqué".
Le principe est simple, je
vois le soleil, je veux dire "soleil", alors je dessine le soleil. Mais
au cours des longues années d'évolution, mon soleil devient
carré. Voici quelques exemples:
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(le cheval regarde vers la gauche) |
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Les pictogrammes ne sont pas très nombreux (364/9353), mais ils sont importants car ce sont eux qui constituent les sous-parties des autres caractères plus abstraits.
2 – Un peu plus abstrait
: le symbole indicatif
"En le voyant on sait, en
l'examinant on saisit le sens".
Il y a deux sortes de symboles
indicatifs. Les premiers sont purement symboliques :
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compter jusqu'a 1000 avec des traits ? |
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Les autres sont composites,
on ajoute un symbole sur un pictogramme, ex:
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sur lequel on indique la racine |
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sur lequel on indique les branches |
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Les symboles indicatifs ne sont pas nombreux (125/9353), c'est dommage, ce sont les plus spirituels, les plus beaux, ils allient le concret et l'abstrait... Enfin c'est mon opinion.
3 – On commence à
composer : l'idéogramme
L'idéogramme est une
composition de plusieurs pictogrammes, mis ensemble dans le même
caractère. Ex :
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Les idéogrammes sont sympas, parce que pas trop durs à apprendre. Heureusement, parce qu'il y en a quand même 1167/9353.
4 – La majorité :
l'idéophonogramme
[Tiens, Micro$oft Word ne
connaît pas ce mot, ils devraient lire un peu au lieu de nous compiler
des browsers de 40Mbytes... par contre le mot "Microsoft" est dans le dictionnaire,
lui]
Tout comme l'idéogramme,
l'idéophonogramme est composé de plusieurs caractères
plus simples. Mais ici, on franchit un pas de plus dans l'abstraction :
une partie du caractère exprime le sens (la partie sémantique)
et une partie donne plus ou moins la prononciation (la partie phonétique).
Le meilleur exemple est fourni par la miriade de caractères construits
a partir de "qing",
, qui signifie "vert; bleu; noir" (excellent exemple aussi de l'immense
difficulte du chinois: pourquoi un seul caractère veut a la fois
dire vert, bleu et noir, alors qu'on a 9353 caractères disponibles
???). Voyons ces caractères :
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Bon, ces exemples sont très
beaux, parce que je les ai bien choisis... si vous ouvrez votre dictionnaire
à une page au hasard, vous serez déçus. [Mais en fait
tous les manuels de chinois sont faits comme ça : les premières
leçons, tout est logique, donc facile, puis peu à peu, on
rencontre des exceptions. Au bout d'un moment, on comprend que les exceptions,
en fait, c'était les trucs logiques que vous aviez appris à
la leçon 1 ]
Quoi qu'il en soit, les idéophonogrammes
sont très, très nombreux (7697/9353). Alors pour les apprendre,
on s'aide de la logique du caractère quand il y en a une, et on
l'invente quand il n'y en a pas. Chacun ses méthodes mnémotechniques
tordues, la fin justifie les moyens.
5 – Et enfin : les mutants
Même avec la meilleure
volonté confucéenne du monde, on ne pouvait pas se passer
un système de père en fils pendant 2200 ans sans quelques
mutations non ? Cela a donné notre dernière catégorie
(bon en fait il y a deux catégories de mutants, mais je les mets
ensemble).
Certains caractères
ont connu une extension de leur sens initial, ex :
wang, qui voulait dire "filet", et dont le sens s'est etendu a "reseau
informatique".
D'autres ont été
utilisés pour leur prononciation, ex lai,
qui voulait dire "froment", mais qu'on utilise maintenant pour dire "venir"
(qui se prononce lai egalement).
Enfin, certaines fautes d'écriture
ont été faites si souvent qu'à la fin, tout le monde
s'est mis à les faire, ex
zao, "puce" a l'origine, mais qui a tellement ete ecrit a la place de
zao, "matin", qu'a present il veut dire "de bon matin" en plus de "puce".
[ Attention! Si vous pensez
que les 1400 millions de chinois vont s'adapter à vos fautes d'écritures
selon ce schéma, je pense que vous faites fausse route ]
Voila, nous avons fait le tour de nos caractères. Si vous avez bien lu, vous savez ce qu'est un pictogramme, un idéogramme, un idéophonogramme. Nous allons aborder maintenant un sujet plus récent : la simplification de 1956/1964.
Quand Mao réinvente l'écriture
En 1949, les communistes l'emportent sur les nationalistes de Chiang Kai Check. Après trois millénaires d'empire, puis trente-huit ans de pseudo guerre civile et de dictature militaire nationaliste, la Chine sens naturellement comme un vent de renouveau. Dans ces moments-là, on a envie de remettre à zéro le système de date (comme en France après la Révolution, ou à Taiwan après 1911 [je suis en 88 ici...]). Mao décide de réformer l'écriture. Pourquoi ? Je vois deux raisons :
Car certains caractères
ont tellement de traits, que personne ne les écrit complètement
dans la vie quotidienne : qui a le temps de dessiner un a un les 32 traits
de (c'est
ce qu'on appelle dans le jargon de Langues'O un caractere "pourri") ? Grosso
modo, les réformateurs recensent les habitudes populaires, et en
adoptent certaines. Voici quelques exemples :
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Quelques caractères
toutefois sont complètement revus, souvent remplacés par
un caractère plus simple ayant la même prononciation :
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Cette réforme a été
appliquée en deux étapes, en 1956 et 1964. A la fin de la
révolution culturelle, en 1977, les plus extrémistes ont
voulu changer le système pour couper court avec les traditions,
la culture, etc... Cette fois, c'était drastique :
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La version simplifiee represente
le jade ,
symbole du pouvoir, protege au coeur de l'enceinte
.
Mais dans la version "revolution culturelle", il n'y a plus rien dans l'enceinte
! Comme le note l'inimitable professeur Delmarle, enseignant mythique de
Langues'O (mythique pour avoir mis 0 à 30% des copies lors des partiels):
"Vous voyez, c'est très représentatif ! Après la révolution
culturelle, il n'y a plus rien dans le pays ! C'est vide ! On a tout jete
!". Heureusement, cette dernière réforme n'a jamais été
adoptée.
Que faut-il en penser ? Les nouveaux caractères, dits simplifiés, sont plus faciles à apprendre au début. En contrepartie, ils ont encore un peu perdu du sens initial, on s'éloigne des bases... Du coup, quand votre connaissance des caractères devient solide (au delà de 2000), il est presque plus facile de se souvenir de la forme traditionnelle, qui contient plus d'indications sur le sens et la prononciation du caractère.
Caractères traditionnels vs caractères simplifiés
Une dernière note : les caractères traditionnels ne sont pas morts, loin de là. En effet, les communistes n'étaient ni à Hongkong, ni à Taiwan, ni dans le 13ème arrondissement au moment de la réforme, donc dans ces divers endroits on utilise toujours les caractères traditionnels. Demandez le menu en chinois à l'excellent [ ou du moins ce qui fut l'excellent, parce que depuis l'ouverture de la seconde enseigne je trouve que ce n'est plus comme avant, à part le rosé légendaire bien entendu ] restaurant Sinorama rue d'Ivry dans le 13ème, vous verrez, ils utilisent les caractères traditionnels – mais de toutes façons comme le menu est recopié à la main la nuit dans une cave par des travailleurs clandestins (c'est moins cher que les photocopies), donc vous ne comprendrez rien.
Ainsi en Chine populaire (et, je viens de l'apprendre avec stupéfaction, à Singapour également) on utilise les simplifiés, et partout ailleurs les traditionnels. Est-ce qu'on arrive quand même à se lire entre les deux bords ?
Inversement, on assiste ces dernières années en Chine populaire à un timide retour aux caractères traditionnels. Ça fait bien, cultivé, d'utiliser les caractères traditionnels sur sa carte de visite – objet de culte dans toute l'Asie semble-t-il. Par contre, changez de carte si vous avez rendez-vous avec des officiels ! Attention ! Le gouvernement, forcément, voit d'un mauvais oeil ce dénigrement des réformes du grand timonier. Du coup, plus on s'éloigne de Pékin, plus on trouve de caractères traditionnels.
Apprenez
les caractères chinois ! Foncez de l'avant, tête baissée
! Et surtout, lorsqu'une nuit vous tomberez, dans un livre, sur le
vieux proverbe suivant, n'y faites pas attention :
« Il faut
toute une vie, et même un peu plus, pour apprendre tous les caractères...
»